La posture du consultant coach
La posture du consultant coach fait souvent l’objet de discussions théoriques ou de débats de spécialistes. Certains y voient un observateur neutre, d’autres un facilitateur bienveillant, ou encore un accompagnateur qui se tapit dans l’ombre. Mais sur le terrain, face à l’urgence, la complexité et les difficultés des rapports humains, cette posture prend une toute autre dimension.
Elle devient mouvante, incarnée, très souvent inconfortable… mais surtout à valeur.
Dans cet article, je vous propose un regard concret sur cette posture à travers des situations réelles, et anonymisées, d’accompagnement.
Chaque situation présente :
- le contexte de la situation,
- les postures prises par l’accompagnant,
- une analyse de pourquoi avoir utilisé telle ou telle posture.
Ces exemples ne sont pas là pour illustrer un modèle idéal, mais pour montrer comment le rôle du coach consultant peut devenir réellement transformateur quand il s’adapte avec justesse.
Car non, il ne suffit pas de poser des questions puissantes : il est tout aussi important de savoir quand prescrire une action puissante.
La théorie sert la pratique

Le consultant coach peut se voir comme un cadran, très inspiré du modèle de coach agile de Lyssa Adkins :
- Le Coach Professionnel, pour permettre de résoudre des problèmes en réduisant la complexité par des questions ouvertes, des reformulations, des recadrages et des métaphores.
- Le Facilitateur, qui améliore les réunions et ateliers en conseillant sur un agenda d’ateliers et qui accompagne à l’atteinte des résultats collectifs.
- Le Mentor, qui partage son expérience pour accompagner une personne n’ayant pas encore les compétences pour réussir l’atteinte de ses objectifs.
- Le Consultant, qui analyse une situation, propose de bonnes pratiques et des solutions adaptées aux problèmes rencontrés.
Les facilitateurs et mentors se rapprochent du coach comme du consultant : le mentor allant parfois aussi dans le conseil, tandis que le facilitateur peut parfois intervenir pour remonter l’énergie du groupe !
Chaque situation va demander une posture différente, voire parfois une combinaison entre ces postures !
Créer des espaces de coordination : entre structure et clarté
Il y a quelques années, j’accompagnais une scale-up en hypercroissance. En trois mois, elle a dû passer de 3 à 8 équipes de développement. L’alignement devenait flou, les doublons fréquents, et les tensions apparaissent dans les arbitrages des dépendances entre équipes. Les architectes et managers voyaient les difficultés apparaître quotidiennement, mais ne savaient pas comment s’en sortir facilement, et se sont donc tournés vers les Scrum Masters.
Nous avons donc co-créé un plan d’action avec les 3 autres Scrum Master : nous nous devions d’agir vite pour garder la confiance de nos parties prenantes. Nous sommes allés proposer directement un cadre de travail : une obeya physique (une salle de commande où toutes les informations importantes sont centralisées) avec un Scrum of Scrum quotidien.
Nous avons posé la vision idéale et un cadre adapté en prenant une posture haute de consultant :
- Tous les dailies se faisaient de 9h45 à 10h. A la fin de chaque daily, un développeur était élu par l’équipe pour les représenter dans le Scrum of Scrum.
- A 10h, se tenait un Scrum of Scrum dans l’obeya, pour parler uniquement des dépendances. Les architectes étaient présents. L’un des Scrum Master facilite ce point pour éviter que les discussions sortent du but : gérer les dépendances !
- Quand une dépendance est identifiée, elle est notée sur un board dans l’obeya et est discutée avec les équipes juste après le Scrum of Scrum.
Notre but était de pouvoir faire en sorte que les développeurs puissent entièrement prendre ce Scrum of Scrum sans facilitateur. Nous voulions poser une structure non rigide pour pouvoir la faire vivre.
J’ai ensuite proposé que les développeurs prennent la responsabilité d’animer le Scrum of Scrum par eux-mêmes, en élisant un facilitateur au début de chacun de ces points. Les managers étaient d’ailleurs très partants pour leur laisser cette responsabilité.
Mais ça n’a pas pris : sans facilitateur confirmé, les points s'enlisent, durent trop longtemps, sortent du cadre… Et donc un Scrum Master est revenu à chacun de ces points, en continuant de prendre une posture de Facilitateur pour guider les développeurs dans des décisions rapides.
J’ai pris la posture de Consultant pour pouvoir proposer un cadre face à l’urgence. Le problème a été résolu rapidement : les dépendances ont été levées beaucoup plus rapidement qu’avant. Puis j’ai pris la posture de Facilitateur pour faire vivre le cadre. Si j’avais pris une posture de Coach Professionnel, l’organisation aurait sûrement trouvé une autre manière pour régler son problème et cela aurait pris plus de temps, mais les développeurs auraient pu se l’approprier plus facilement. Si les Scrum Masters étaient partis, est-ce que le cadre aurait survécu … ?
Observer sans juger : révéler la maturité agile avec l’Agile Fluency
Autre contexte, autre posture. Dans une scale-up, cinq équipes pluridisciplinaires souhaitaient faire un point sur leur maturité agile. Le risque dans ces audits ? Devenir juge et parti, et casser la confiance dès le départ.
J’ai utilisé le modèle Agile Fluency, non comme une grille de notation, mais comme un miroir conversationnel. Chaque équipe s’est auto-positionnée, puis nous avons croisé les perceptions. Cela a permis aux équipes de se rendre compte de leur principal problème : être capable de pivoter plus rapidement et dire rapidement non à une initiative qui n’aura pas la valeur escomptée.
Ici, j’ai donc pris la posture d’un coach professionnel, et non du consultant. J’ai tout de même proposé entièrement le cadre d’accompagnement : quand devait se faire les notations, de quelle manière, et avec qui. Cela a permis de révéler les problèmes cachés et latents dans les relations dans les équipes.
J’ai pu d’ailleurs utiliser un modèle : Je souhaitais que les équipes racontent leurs histoires, et j’ai tenté un “mob storying”, qui est la même idée qu’un mob programming mais pour raconter une histoire personnelle et collective !
Un membre de l’équipe commence à raconter l’histoire du collectif à travers son prisme, puis la parole change toutes les 10 minutes, un nouveau membre prend la suite de l’histoire. L’idée était de faire émerger et conscientiser les mécanismes de l’équipe. En utilisant des métaphores, les équipes ont pu faire ressortir leurs envies personnelles. L’une des équipes, fan de courses, voulait devenir une vraie “Formule 1”, capable de délivrer bien plus rapidement avec la qualité des meilleures écuries de F1 !
En prenant une posture de Coach Professionnel, j’ai pu faire émerger l’histoire des équipes, ce qu’ils voudraient devenir, mais aussi leurs vrais défis. J’ai appris que des années après, les équipes ont gardé ces métaphores en tête et en parlent encore pour se définir en tant qu’équipe. L’équipe qui souhaitait enfin devenir une Formule 1 l’est devenu bien après mon départ !
Si j’avais pris la posture de Facilitateur, j’aurai proposé des ateliers collaboratifs que j’aurai animé pour faire ressortir les problèmes des équipes, avec le risque qu’ils soient “superficiels”, sans réussir à faire ressortir les soucis de sécurité psychologiques cachés et des objectifs puissants pour faire bouger les gens.
Ici, les postures de Mentor ou Consultant n’auraient pas été adaptées : si j’avais proposé des bonnes pratiques dès le départ, elles n’auraient probablement pas été prises en compte et j’aurais été pris pour un donneur de leçon.
Du coaching individuel au cadre soutenant : accompagner avec STORMMES
Bien souvent, ce sont les managers eux-mêmes qui sont les plus perdus. Nombre d’entre eux soulèvent des questions pertinentes, sur des changements de comportements à avoir.
Pour appréhender un nouveau coaching, j’aime utiliser le modèle STORMMES dont un template miro se trouve ici.
Il permet de poser des questions pertinentes pour guider un entretien de coaching. Une équipe que j’ai accompagnée dans une scale-up avait des difficultés relationnelles entre des membres d’équipes. J’ai pris une posture de Coach Professionnel et proposé un accompagnement simple :
- un entretien avec le manager, pour définir les objectifs de l’équipe
- un entretien avec le manager et son équipe, ce qu’on appelle un tripartite, pour partager les objectifs que le manager a pour son équipe,
- plusieurs sessions avec toute l’équipe.
Comme rien ne se passe jamais comme on le souhaite, je fus surpris de voir le N+2 venir dans le premier point ! J’ai tout de même suivi mon cadre de questionnement. Après discussion, l’objectif de coaching était celui ci :
- De générer une dynamique d’autonomie des développeurs pour qu’ils deviennent plus collaboratifs entre eux, et plus responsables de leur travail.
Avec comme résultats visibles pour suivre cet objectif :
- Une augmentation du “delivery” par des KPI internes,
- Le Lead Dev observe factuellement que les développeurs viennent plus souvent le voir chaque jour.
En fin de session, je rajoute systématiquement pour moi la question la plus importante de tout coaching professionnel : que se passera-t-il pour l’équipe si le coaching ne fonctionne pas ?
La plupart des managers, de culture Française, que j’ai pu rencontrer sont en difficultés face à cette question… J’ai donc creusé les émotions et sentiments qui adviendraient en cas d’échec, et les managers m’ont avoué un sentiment de honte.
Je leur ai demandé, lors du premier coaching avec l’équipe, d’exprimer ce sentiment, ainsi que les objectifs qu’ils ont pour l’équipe. Cela eut l'effet d’une bombe émotionnelle, l’équipe n’ayant jamais imaginé ce que ressentaient réellement leurs managers.
En 5 sessions de 1h30, l’équipe a pu atteindre ses objectifs de coaching. J’ai tout d’abord pris une posture de Coach Professionnel pour faire ressortir les non dits sur les 4 premières sessions. J’ai ensuite pris une posture de Mentor sur la dernière session pour les aider à prendre une meilleure posture de facilitation et leur rappeler l’intérêt des événements Scrum, ce qui a réduit les temps de réunions drastiquement : par exemple, les dailys sont passés de 40 min à 10 min en moyenne.
Si j’avais pris une posture de Mentor ou Consultant avec l’équipe dès le début, en partageant mon expérience sur le delivery, j'aurais sûrement amélioré leur processus interne, mais sans régler les problèmes humains qui entravent réellement l’équipe. L’amélioration continue n’était qu’un bonus : résoudre les passifs de l’équipe était obligatoire pour le long terme.
Passer du collectif à l’autonomie : déléguer intelligemment avec le Delegation Poker
Dans une grande entreprise en transformation, j’ai accompagné une équipe de managers qui avaient pour objectif d’aider leurs collègues managers à améliorer la délégation. J’ai pris une posture de Mentor et leur ai proposé le Delegation Poker, tout en les formant à l’outil et à comment prendre une posture de Facilitateur en leur montrant comment faire par la pratique, en animant les premiers ateliers. Je leur ai ensuite demandé d’essayer de le faire, mais sans moi : qu’ils puissent tester eux-mêmes ! Ils ont adoré l’idée, et s’y sont essayés sur des terrains parfois inconnus pour eux.
Après avoir effectué l’atelier avec plusieurs équipes, un pattern a émergé : toutes les problématiques identifiées par les équipes sont gérées entièrement par les managers ! En prenant la posture de Facilitateur, ce sont les discussions franches qui ont comptées. Les non-dits ont pu émerger, même pour des équipes avec un très fort passif !:
En prenant une posture de Mentor, en proposant un outil liée à mon expérience passée, j’ai pu donner l’envie et former sur un outil qui a permis de créer des changements rapides. La posture de Facilitateur a permis de faire vivre ce cadre et de faire ressortir les non-dits.
Si j’avais pris une posture de Coach professionnel, le risque aurait été que les managers n’aient pas les compétences pour aider les équipes à créer un cadre de délégation suffisamment puissant pour faire changer les comportements !
Le coaching proactif : faire émerger une demande cachée
Enfin, une dernière histoire. Une Product Owner que j’accompagnais avait beaucoup de mal en Sprint Review. Stress visible, posture effacée, messages flous. Mais… elle ne demandait rien. Elle "faisait de son mieux".
Après une discussion avec mon RTE, j’ai décidé d’intervenir proactivement en lui proposant un temps de coaching. Lors de la première session, elle a pu trouver son problème profond : “overthinking”, trop de pensées. Je lui ai proposé une prescription venant du coaching systémique : écrire les questions qu’elle se pose, mais ne surtout pas y répondre, car lorsque nos questions anxieuses nous submergent, nous essayons naturellement d’y répondre, ce qui entraîne encore plus de questionnements !
Une fois ce blocage levé, sa posture s’est transformée à la Sprint Review d’après. Elle a pris de l’assurance, a commencé à dialoguer avec les stakeholders au lieu de simplement "présenter". Le changement fut très visible, car beaucoup de personnes ont vu la différence !
Ici, ma posture de Coach Professionnel n’était pas attendue en premier lieu. Et c’est justement ça, le cœur du sujet : le coaching n’est pas toujours déclenché par une demande fortement explicite. Il faut parfois savoir sentir, initier, tendre la main avant que la personne ne la demande, mais sans jamais forcer ou imposer un accompagnement : la personne reste maître de sa décision et de son envie de changer.
SI j’avais pris une autre posture, comme celle de Facilitateur pour animer à sa place les Sprint Reviews, ou de Mentor pour lui donner mes manières pour gérer le regard des autres, je n’aurais jamais découvert son problème de fond, de ce surplus de pensées, et le problème aurait possiblement perduré encore après un accompagnement.
En conclusion : la posture juste n’est jamais figée
Ces situations montrent une chose essentielle : le rôle du consultant coach ne peut pas se réduire à une méthode ou un style unique.
Parfois structurer, parfois laisser faire. Parfois provoquer, parfois écouter. Parfois guider, parfois confronter.
La vraie compétence, ce n’est pas de rester dans une posture idéale, c’est de savoir laquelle est utile à ce moment-là, pour cette personne-là, dans ce contexte-là.
J’apprécie utiliser le modèle Cynefin pour cela. Sans faire une simplification forte, je trouve que lorsqu’un problème est simple ou compliqué, c’est à dire que les causes et effets du problème sont connus, avoir une posture de conseil comme un mentor ou un consultant est efficace, alors que lorsqu’un problème est complexe et que de nombreuses variables sont inconnues, faire émerger les solutions et les histoires des équipes est souvent bien plus puissant !
Pour vous entraîner à effectuer des entretiens de coaching quand vous rencontrez un nouveau client, je vous propose de structurer une intervention avec les 4I :
- Introduction : Créer une connexion par la confiance en étant présent entièrement, et authentique
- Intention : Clarifier ensemble l’objectif de votre séance : est-ce pour définir le vrai problème ? Pour résoudre un objectif ? Pour monter en compétence sur l’agilité ? Pour apprendre la posture de facilitateur ? … STORMMES est parfait pour cette étape !
- Intervention : quelle posture adopter par rapport à l’intention ? Le cadran des rôles est utile ici pour vraiment conscientiser la ou les bonnes postures à prendre.
- Impact : comment mesurer l’impact réel, et pouvoir suivre l’avancement. Une notation de 0 à 10 peut être utile lorsque l’on est sur des problématiques difficilement mesurables et basées sur des émotions.
Et vous, quelle posture avez-vous adoptée cette semaine… et surtout, pour quels résultats ?