Comment garder la maîtrise des décisions dans la durée
“On avait déjà décidé ça, non ?”
Si cette phrase revient souvent dans votre équipe, c’est qu’elle a probablement perdu le fil.
Dans beaucoup d’organisations, le problème n’est pas le manque de dialogue ou de bonne volonté. Le problème, c’est la confusion autour des décisions : on ne sait plus ce qui a été décidé, ni comment, ni pourquoi.
Résultat :
- on re-débat des mêmes sujets,
- on ré-explique sans cesse les mêmes choses,
- et on finit par douter du processus lui-même.
Ce n’est pas une fatalité.
On peut garder la maîtrise collective des décisions, sans bureaucratie, sans réunionite et sans perdre l’autonomie.
Les symptômes d’un collectif qui perd le contrôle
On les reconnaît vite :
- les décisions se dissolvent dans le flou,
- certains se sentent exclus,
- d’autres décident seuls pour aller plus vite,
- et tout le monde finit frustré.
Ce n’est pas une question de leadership ou de maturité. C’est une question de système de décision.
Sans règles explicites sur qui décide quoi, le collectif dérive. Les tensions montent, les débats s’éternisent et plus personne ne sait vraiment où on en est.
Des remèdes en trois temps
Voici 3 phases qu’il faut soigner :
- LES ARGUMENTS
Faire en sorte que la parole de tous soit entendue, sans avoir des débats sans fin. - LA DÉCISION
Avoir un processus de décision connu et accepté par tous. - LA COMMUNICATION
Communiquer correctement les décisions importantes pour qu'elles soient connues de tous.
C’est seulement à ce moment-là que les décisions seront réellement partagées.
En bonus, on pourra se demander s’il est prévu de réviser cette décision à un moment donné.
Séparer les espaces d’écoute des espaces de décision
Première clé : ne pas tout mélanger.
Trop souvent, une réunion censée “faire avancer les choses” devient un grand débat sans fin.
Pourquoi ? Parce qu’on veut à la fois échanger et décider. Deux espaces, deux objectifs :
Les espaces d’écoute
- On y partage les points de vue, sans chercher à trancher.
- On explore, on questionne, on comprend.
- On adopte la posture du Perfection Game : “qu’est-ce que j’aime dans ton idée et comment la renforcer ?”
- On parle en je, pas en tu — c’est la base de la Communication Non Violente.
Les espaces de décision
- Plus courts, plus structurés.
- Un sujet, un cadre, un mode de décision explicite : arbitrage, vote, consentement...
- Objectif : avancer, pas débattre.
Mélanger les deux, c’est la meilleure façon de tout embrouiller.
Voir aussi l’article La force des réunions où on ne prend pas de décision
Clarifier les processus de décision : qui décide, comment et sur quoi
Une décision n’a de valeur que si le processus est clair.
Quelques repères simples
- Arbitrage : une personne décide après avoir entendu les avis.
- Majorité : on vote, la majorité l’emporte.
- Consentement : on avance tant qu’il n’y a pas d’objection majeure.
- Autonomie : chacun décide sur son périmètre.
Le Delegation Poker (Management 3.0) est un excellent outil pour rendre cela visible.
Il décrit 7 niveaux de délégation — du “je décide seul” au “l’équipe décide sans moi”.
Cet outil propose de mettre fin au flou, aux suppositions, et aux frustrations.

Delegation poker (version ajiro.fr)
Ce n’est pas qui décide qui pose problème, c’est quand on ne sait pas comment la décision a été prise.
Consigner et partager les décisions : la mémoire du collectif
Une décision partagée, ce n’est pas une décision “prise à plusieurs”.
C’est une décision :
- communiquée à tous
- portée par tous
Sans trace claire, une décision s’évapore. Et le collectif perd la mémoire.
Les bonnes pratiques
- Décisions structurantes → format synthétique type ADR (Architecture Decision Record) ou Action/Decision Log
- Décisions opérationnelles → note rapide dans Jira, Notion, Slack ou Teams…
- Décisions autonomes → pas besoin de trace, elles vivent dans l’action.
Culture orale : une force à l'épreuve de la distance
Historiquement, la culture orale a eu ses lettres de noblesse, notamment dans les petites équipes et les contextes très collaboratifs en présentiel. Elle repose sur la confiance mutuelle, la spontanéité et une transmission rapide de l'information. Dans un bureau où tout le monde se côtoie, un simple échange informel peut suffire à valider une orientation, créant un sentiment de fluidité et d'agilité apprécié. C'est un mode de fonctionnement qui célèbre le lien humain.
Cependant, l'avènement du télétravail et l'éclatement des équipes, accélérés par la pandémie, ont fait basculer ce modèle. Ce qui était une force est devenu une source d'asymétrie d'information et de confusion. Maintenir une "culture orale" dans une organisation de plus de dix personnes — où tout le monde ne se croise plus quotidiennement — relève désormais de l'illusion. Pour ma part, je ne crois plus à la pérennité de ce mode. La trace écrite n'est plus un choix, mais le fondement nécessaire pour garantir que le collectif, dans sa nouvelle géographie, conserve sa mémoire, son alignement et son équité.
Réviser les décisions plutôt que les oublier
Les décisions ne sont pas gravées dans le marbre.
Mais elles doivent être revisitées consciemment, pas re-discutées par oubli.
Instaurer une “revue des décisions”
-
Tous les 3 ou 6 mois, revoir les décisions clés.
-
Se poser trois questions :
Est-elle toujours valide ?
Est-elle toujours utile ?
Est-elle toujours comprise ? -
Si elle change, on documente pourquoi.
Ce rituel transforme la gouvernance en apprentissage collectif. On garde le sens, la cohérence et la trace du chemin parcouru. Si vous trouvez que ça ressemble à une rétrospective, c'est sûrement que c'est le meilleur moment pour en parler sans rajouter une énième réunion.
Retrouver un sens collectif dans la prise de décision
Le but n’est pas de “faire ensemble” à tout prix. Tout ne peut pas donner lieu à des réunions avec tout le monde, notamment quand le collectif représente des dizaines de personnes ou plus. Le but, c’est que chacun comprenne et soutienne les décisions prises.
Une équipe garde le fil quand :
- les décisions sont cohérentes avec la stratégie
- l’information circule sans distorsion
- et chacun connaît sa marge d’autonomie
Alors, la décision devient un acte de sens. Elle aligne les énergies, au lieu de les disperser.
Conclusion – Un collectif aligné, pas uniformisé
La décision collective n’est pas un idéal démocratique.
C’est une discipline du sens partagé : savoir ce qu’on décide, pourquoi on le décide, et comment on le garde vivant.
Quand les décisions sont claires, tracées et comprises :
- le collectif retrouve du temps
- la confiance se renforce
- le cap redevient visible
Alors la prochaine fois que tu entends :
“On avait déjà décidé ça, non ?”
demande-toi plutôt :
“Avons-nous su garder le sens de cette décision ensemble ?”
À retenir
Le problème n’est pas le manque de décisions, c’est le manque de clarté des décisions.